Lorsque sonnent les cloches de Noël, il pleut plus de bûches sur le marché que de nichons sur Internet toute l’année : à croire que sans elle, on resterait sur le goût amer des fines de claire d’oncle Albert et du Salmon Mac Christmas de Mamie Aymée. Plus de 10 millions de litres de bûches sont vendus en France chaque année: autant d’options sur le modèle que sur le prix (variant de 4 à 444 euros;) un peu comme l’âge requis du puzzle chez Mamie.
Autour d’une dégustation de buches en avant-première arrosée au blanc, Amasauce a réunit deux autodidactes et grands artisans: le meilleur chocolatier du monde Jacques Génin (bûche «Ephémère Chocolat: dacquoise amandes/noisettes, praliné croustillant, sabayon au chocolat de Madagascar 71%) et le boulanger de l’année 2011 Dominique Saibron (bûche «Ruby»: mousse framboise pur fruit naturel, crémeux pistache, praliné 100% pistache.) Entre mensonge et vérité, qualité et prix cassés, zoom sur ce produit tantôt starisé, tantôt en bataille pour préserver sa dignité.
Il est déjà 23h47 en ce soir du 24 décembre. Sur votre ex-jolie nappe parsemée de gui tachée de graisse de canard et de Muscadet, Mamie Aymée entame la découpe d’une buche de Noël fraîchement dégainée. Jacques Génin, ça vous fait rêver?
Jacques Genin: La buche de Noël n’est pas mon truc pour une raison simple: il n’en existe aucune qui puisse être servie sans avoir été congelée. Chaque année, les buches doivent être produites en grandes quantités pour des ventes concentrées sur une très courte période (48h.) Or, il est techniquement impossible de pouvoir à la fois fabriquer, conserver et vendre ce produit sur deux jours. La solution, c’est de congeler: le problème, c’est qu’aucun pâtissier n’aura l’honnêteté de le dire.
Dominique Saibron: Je confirme. Dans mon établissement, nous fabriquons de A à Z nos 10.000 buches prévues pour les fêtes. Je les vends essentiellement pour le réveillon de Noël, et un peu pour celui du 31 décembre. Nous attaquons dès le 4 décembre.
Et concrètement, où est le crime dans le fait de congeler?
JG: Ce n’est pas un crime, mais il ne faut pas mentir à ses clients. Si je suis le seul en France à ne pas congeler ses chocolats, c’est parce que le produit n’en sort jamais indemne: il se gorge d’eau, et la décongélation créée une énorme perte au niveau des saveurs. Rien que l’idée d’avoir à congeler une buche me déprime: voilà pourquoi je commence à reculons chaque année, ne travaille que sur commande. Je vends d’ailleurs plus de tartes au citron que de buches pour Noël ! Ainsi, mes équipes n’ont plus besoin de travailler la nuit.
Pourquoi la bûche de Noël a t’elle si mauvaise réputation ?
JG: Elle est devenue un objet de décor susceptible d’être mangé, une occasion de briller. En la décortiquant, on réalise que l’intérieur, et c’est bien le principal, fait beaucoup moins rêver. Quand tu vas au restaurant, ce n’est pas pour manger les rideaux…
Dominique Saibron: Dans la tête de la plupart des gens – à commencer par mes clients – la bûche de Noël est associée à la bûche pâtissière roulée, crème au beurre, qui donne la gerbe à la fin d’un repas déjà bien copieux. Peu de pâtissiers proposent encore cette buche crème au beurre, le créneau est surtout dans la Grande Distribution: voilà pourquoi je mise plutôt sur des buches légères, aux fruits.
Outre la traditionnelle VRAIE bûche de Noel (pâtissière – selon la définition du Larousse, du forum de Femme Actuelle, de ta grand-mère;) on a plus de chance de tomber sur une buche en forme de sapin, de spa d’hôtel scandinave, de statue d’art contemporain. Qu’est ce qu’une VRAIE buche pour vous ?
JG: C’est une buche pâtissière artisanale, en forme de buche, à base de génoise roulée et de crème au beurre préparée dans les règles de l’art. Techniquement, la crème au beurre doit être tirée à la fourchette. La buche a été abimée pendant des années, faute à cette obsession de tout vouloir revisiter: on tue un produit, on lui donne un aspect esthétique, et on utilise le marketing pour le vendre.
Parmi les grosses arnaques, celle des boulangeries-pâtisseries qui vendent des bûches industrielles, livrées surgelées en magasin. Que pensez-vous de cette entourloupe ?
DS: C’est triste à dire, mais plus de 90% des boulangers/pâtissiers parisiens ne fabriquent plus leurs produits: ils se fournissent chez les industriels (Métro, Coup de Pates, Le four à Idées) et «finissent» la marchandise. Il suffira alors d’ajouter des décorations et le seau du magasin sur la bûche en question, pour la revendre à prix gonflé sous l’appellation fait maison. C’est effectivement une grosse arnaque. Il y a aussi un vrai souci avec la législation française: le pâtissier n’ayant aucune obligation de faire apparaitre la liste des ingrédients sur des produits non emballés (le propre d’une boulangerie/pâtisserie,) certains n’hésiteront pas à tricher.
Il faut surtout remonter à l’origine de ces dérives…
JG: N’importe qui peut, du jour au lendemain, ouvrir une pâtisserie et tout déléguer aux industriels. C’est une réalité. Si Genevieve de Fontenay décide d’ouvrir son établissement éponyme demain, il lui suffira d’aller chez Métro et d’acheter des seaux pour être pâtissière de métier.
J’imagine que pour cette minorité de bons pâtissiers – les vrais, les passionnés – la réalité du métier doit être dure à avaler…
JG: Il y a ceux, comme Dominique et moi, qui exercent ce métier par passion – forcés à cohabiter avec les «mercantiles», qui ne cherchent qu’à gagner du fric. Si seulement les «vrais» pouvaient se réunir entre eux, et arrêter leur compétition a deux balles: à partir du moment où un type s’installe, il est respectable. S’il triche, il ne durera pas. Le client est de plus en plus infidèle, il a la possibilité d’aller voir ailleurs si on se moque de lui. C’est comme ça que le tri se fait naturellement, entre les «tricheurs» et les «vrais.»
Les industriels trichent-ils aussi? Pour le pauvre consommateur manipulé, quelles sont concrètement les bûches a éviter?
JG: Il y en a beaucoup. Le problème, c’est que la bûche artisanale et de qualité n’est pas accessible au plus grand nombre. Pourquoi les bûches industrielles se retrouvent-elles sur la plupart des tables le soir de Noël? Parce qu’elles ne sont pas chères. Tout comme le foie gras, les escargots, les huitres et le saumon.
D’ailleurs, les chiffrent sont là: 90% des français achètent leur buche dans la grande distribution.
JG: Les industriels sont parvenus à rallier les classes moyennes, en insultant les consommateurs avec leur publicité mensongère qui font croire que l’on peut accéder à la qualité à mini prix. J’aimerais qu’ils aient raison, mais c’est malheureusement faux.
Quelles sont les techniques de la grande distribution pour vendre des bûches à deux francs cinquante?
JG: Aucun être humain ne touchera cette buche à la fabrication, si ce n’est, avec un peu de bol, celui qui charge la machine – et avec beaucoup de bol, celui qui ferme l’emballage en bout de piste. De là, tu retires tous les coûts liés à la main d’oeuvre. Ensuite, l’industriel n’hésitera pas à utiliser une poudre de marron low-cost à délayer dans l’eau plutôt que des marrons frais: pour améliorer le goût, il trichera en ajoutant des produits chimiques, des arômes, des conservateurs…
Bon, et quelles bûches conseilleriez-vous?
JG: Une buche artisanale, construite dans le respect des produits plutôt qu’autour d’un ornement ridicule. Une bûche au bon rapport qualité / prix, dont on regardera l’allure: moins il y aura de décor et de fioritures, plus le travail aura de chance d’être bien fait.
Quel est le prix de revient d’une buche?
DS: La mienne me coûte 20% du prix de vente en matières premières, hors frais de salaires (42%.) Mes buches pour 4 personnes (100% naturelles, artisanales et délicieusement incroyables, précise Amasauce) sont vendues 24 euros. La buchette individuelle, quant à elle, est vendue 4,90 euros.
JG: Pour les bons comme les mauvais, la buche est l’opportunité annuelle de faire des marges considérables sur une très courte période. Mais ce n’est rien à côté de la galette…
Emoustillée par la cause artisanale et désireuse de mettre la pain à la pâte suite au discours de nos invités, voilà que je tentais de cuisiner une bûche de Noël – genre avec des inserts et tout – non congelée. Au vu du résultat accablant suite à cet élan rebelle, Amasauce vous conseille vivement de profiter du travail de ces artisans respectables et abordables, pour finir en beauté ce repas exceptionnel. En espérant vous éviter, et là est le principal, des courses de Noël semées d’(em)buches – surtout si comme moi, vous n’avez pas été très sages cette année.
Jacques Génin : 27 rue de Varenne (Paris 7) et 133 rue de Turenne (Paris 4.)
Dominique Saibron : 77 avenue du Général Leclerc (Paris 14.)
SHOOTING PHOTOS : GUILLAUME LANDRY (PHOTOGRAPHIES NON RETOUCHÉES.)